La gratuité du mandat

Vous avez chargé un ami d’acquérir un bien à votre place. Aujourd’hui celui-ci vous demande une rémunération. Vous nous demandez à votre tour ce que nous en pensons.

Le mandat (car c’est ce dont il s’agit) est un acte gratuit. C’est ainsi dès l’origine, en droit romain, et c’est encore ce que pose le Code civil français. Il s’agit d’un contrat fondé sur l’amitié entre mandant et mandataire, comme le cautionnement. Cela n’interdit pas la rémunération. Mais elle n’entre pas dans la constitution du contrat. Le Code civil prévoit ce salaire en énonçant que « le mandat est gratuit, s’il n’y a convention contraire » (art. 1986 C. civ.). Au mandataire qui se prétend créancier de prouver cette convention. Il y a, si l’on veut, présomption réfragable de gratuité.

Néanmoins la présomption tend à s’inverser. Elle jouait déjà à l’inverse au profit des mandataires « qui font profession de s’occuper des affaires d’autrui » depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 février 1981. Or, cette exception s’est élargie récemment, dans le cas d’un expert en tableaux qu’un Commissairepriseur avait donc chargé d’une expertise. Le Commissaire-priseur avait dispensé ses propres clients de lui verser des honoraires et il prétendait qu’il appartenait à l’expert d’apporter la preuve du caractère onéreux de leur accord. Il avait néanmoins été condamné par la Cour d’appel de Paris, le 24 octobre 1995, et la même première chambre de la Cour de cassation, le 16 juin 1998, rejette son pourvoi au motif que « gratuit par nature, le mandat est présumé salarié s’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle ». C’était donc bien, comme l’avait décidé la Cour d’appel, au Commissaire-priseur de prouver que l’expert avait renoncé à ses honoraires.

Il s’agit donc, on le voit, d’un élargissement considérable du renversement de la présomption. Au point que d’aucun en viennent à considérer que le mandat aurait changé de nature. Nous ne le croyons pas. Certes, l’on doit rester prudent parce que personne n’est à l’abri d’une avancée supplémentaire qui renverserait complètement la présomption. Néanmoins, quand bien même, deux raisons militent contre l’idée d’un changement de nature du mandat. L’une de circonstance, l’autre de principe.

La raison de circonstance tient à ceci que les juges s’autorisent, depuis fort longtemps, de contrôler et de réviser au besoin les rémunérations réclamées par les mandataire (Req., 12 déc. 1911, D.P. 1913.1.129, note Feuilloley). Une telle solution laisse penser que le mandat reste en lui-même un acte gratuit (comme l’énonce d’ailleurs la formule consacrée en jurisprudence). Si le versement d’un salaire ou d’un prix entrait vraiment dans l’opération peut-être le juge s’interdirait-il, ainsi qu’il le fait pour les actes à titre onéreux, comme la vente, d’en réviser le montant. Nous sommes donc devant une solution typiquement exceptionnelle dans la mesure où sur un point précis du régime juridique du mandat cette dernière va à l’encontre de ce qui dicterait la nature des choses.

La raison de principe provient d’une considération plus profonde que les interprètes perdent trop souvent de vue. C’est qu’il n’entre pas dans le rôle du juge de modifier la nature des choses, en l’occurrence la définition d’un contrat. Ce qui lui est demandé, c’est de trancher un litige. Il le fait. Sa décision peut ensuite faire l’objet de critiques doctrinales. Elle peut être condamnée parce qu’elle viole l’ordre établi des notions. C’est déjà tout autre chose. En outre cet ordre lui-même peut être à son tour discuté et remis en question. Mais guère par le juge en tant que tel. Et l’on pénètre alors en réalité dans une sphère où les pouvoirs en place n’ont plus aucun poids, pas plus d’ailleurs que la réputation ou la notoriété de l’auteur. La vision des choses du Droit regarde chacun personnellement, en son âme est conscience. Il se trouve simplement que des romains ont vu dans le mandat un acte gratuit.

Dernière modification de la page le 19.10.2015 à 21:50